Diégo, l'eldorado
Déambulations d'un voyageur
enchanté dans les rues de Diego-Suarez. Diégo comme l'appelle
ses familiers se révèle surtout le soir.
Tout transpire le passé.
Ni les tempêtes, ni les cyclones,
ni les pluies diluviennes, ni les nuages de poussières ocre n'arriveront
à effacer les vestiges de la glorieuse histoire coloniale. Glorieuse
et prospère à en juger par l'architecture de la ville. Seule
la mairie construite dans les années 1970 et d'inspiration soviétique
vient brouiller les pistes. Sur l'avenue Colbert, la rue principale de
Diego, les colonnades rappellent le temps de la splendeur. En haut des
"Champs-Elysées " d'Antisaranana (le nom malgache de
la ville), seul un grand hôtel high tech en construction
fait dire que la ville septentrionale la plus peuplée de la "Grande
Ile" est entrée dans le troisième millénaire.
Comme pour mieux résister à l'avenir claque le slogan gravé
sur une des planches en bois qui en barre l'entrée : "hôtel
à vazahas ". Comprendre : "hôtel à touristes".
Le choc de deux mondes.
Façades déglinguées ou trottoirs
défoncés, la ville me fascine.
Après mes déambulations le long de l'artère principale,
je décide de me rendre vers le quartier militaire de la ville.
À gauche de l'avenue défoncée, les résidences.
À droite, des installations militaires. Quelques arbres bordent
cette avenue enchanteresse. De l'activité militaire florissante,
il ne reste plus grand-chose. Les bâtiments semblent inhabités.
D'ailleurs seulement quelques uns sont occupés. Devant l'un d'entre
eux émane un son étrange. Une trompette qui sonne comme
un cor de chasse. On se croirait presque dans le film de Pierre Schoendorffer
"Le crabe-tambour". D'autres bruits. Des rangers martèlent
le sol. À tout casser, ils doivent être une demi-douzaine
de soldats. Cachés des bâtiments, des gamins singent les
gestes de leurs aînés. "Garde-vous". "Repos".
"Envoyez les couleurs ". Pas de doute, une cérémonie
militaire ! Ca y est les soldats sont visibles. Ils sont 5 exactement
dont 3 en tenue de camouflage vert et un tenant le pavillon malgache consciencieusement
replié. Au-dessus de leurs têtes, des civils assistent nonchalamment
à la scène. Le spectacle est étonnant. Je n'ose pas
"dégainer" mon boîtier-photo de peur d'effaroucher
mes "acteurs". Bien senti ! Un soldat sorti de nul part me fait
signe de déguerpir avant de menacer de prendre ma pellicule au
cas ou j'aurais l'indélicatesse de vouloir les prendre en photos,
lui et ses amis. Je ne demande pas mon reste et déguerpis. Après
m'être prestement éloigné, je regarde dans mon dos
la baie de Diégo. Ou plutôt la vue sur le port de commerce.
Hormis les containers métalliques colorés et un bruit sourd
d'activités, c'est comme si peu de choses avaient bougé.
Je me souviens alors des confessions des marins pour qui Diégo
est un eldorado. "C'est un vrai paradis ! " m'avaient-ils
sans cesse claironné. Me parlaient-ils de la ville ? De ces belles
femmes aux yeux de braise qui vous regardent droit dans les yeux en vous
faisant un sourire à se décrocher la mâchoire ? Je
ne sais plus très bien. À déambuler seul dans ses
rues, je me laisse gagner par la magie des lieux et son côté
apocalyptique.
Le soleil ne va pas tarder à se coucher.
La température est devenue plus supportable. La lumière
plus blafarde. La nuit va prendre ses quartiers. Le long de l'avenue Colbert,
les gargotes s'emplissent peu à peu. L'odeur des fritures s'épaissit.
Plus bas, chez Francis le Marseillais, le QG des expats, des supporters
de l'ohème et le "consulat de Marseille" comme fièrement
exhibé sur une des colonnes du bar, la soirée va commencer.
Au loin, une radio crachouille ses tubes anglo-saxons. Les magasins ferment
leur porte. De belles malgaches pavanent déjà dans leurs
robes de soirées. Les "vazahas" pullulent. Et sortent
des hôtels souvent aux bras de jolies "princesses". Peu
éclairées, les rues se font plus mystérieuses. Les
bosses et les nids-de-poule plus surprenants. Les moustiques me suivent
comme mon ombre dans mes déambulations de voyageur enchanté.
Diégo la nuit. Diégo l'eldorado. À la fois si sclérosée
mais si vivante. Si désolée mais si envoûtante
Stéphane Dugast
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