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Échappée belle (volet
3)
Cols Bleus n°2708 du 3 Juillet 2004 - Rubrique Lattitudes
p22-27
Partir de Diégo pour découvrir
le reste des côtes de Madagascar, c'est beaucoup de
route au final, mais aussi desrencontres et des instants partagés.
Une façon de goûter plus encore à la magie
d'une Grande île dont la facade maritime continue de
vivre nonchalamment sans se soucier de la frénésie
de la capitale, loin, sur les hauts-plateaux.
Des fantômes des pirates de Sainte-Marie aux pérégrinations
en brousse ou aux senteurs de vanille, toute la côte
de Madagascar vit à son rythme et porte les espoirs
d'avenir de la Grande île. Troisième et dernier
carnet de voyage de ces "itin'errances malgaches".
Sur la route bleue
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Par l'équipe d'Itin'errances
malgaches :
Textes de Julie Desné, Arnaud Créachcadec et
Stéphane Dugast - Illustrations d'ar.créa'h
- Photos de Stéphane Dugast
Un long
canal tranquille - Canal des Pangalanes
"Teuf
Teuf
Teuf
". Voilà bien deux heures que le
moteur de la péniche pétarade. Pas de quoi néanmoins
émouvoir le "chauffeur" à la casquette
rose défraîchie vissée sur le crâne.
Imperturbable sur son siège de fortune - une housse
de siège toute rembourrée - le "chauffeur"
regarde droit devant, la main droite sur l'accélérateur.
Le paysage défile tranquillement tout l'après-midi
sous les yeux contemplateurs des deux "pirates"
blancs embarqués, chacun un bandana dans les cheveux
pour se protéger du soleil. À l'avant de la
péniche, la douzaine de passagers est moins ébahie.
L'habitude ? Plutôt le soleil qui les frappe et oblige
tout ce beau monde, assis à même la coque ou
sur des sièges de fortune, à se protéger
et chercher l'ombre. À l'arrière sous une bâche,
un couple de vieux, une jeune maman et son fils sont plus
tranquilles. Au paysage désertique des débuts
a rapidement succédé une végétation
luxuriante et verte. Presque personne sur le canal. Seulement
quelques pirogues de temps en temps. Quelques hameaux. De
toute façon, les passagers somnolent. 15h30, un pont
métallique à la Gustave Eiffel. Juste après
sur bâbord, des canards et un chemin. Terminus ? La
péniche accoste sur une plage. Presque tous les passagers
descendent. On suit la troupe. Le village est typique. Des
habitations en bois aux toits en raphia.
La danse des Canards
Au fur et à mesure de notre arrivée, on nous
dévisage. La "gargote" est une des huttes
plantées à l'entrée du village. Littéralement
morts de faim, on se jette sur le riz aux légumes.
Après café au goût amer avec plein de
sucre. La halte est rapide. Il faut déjà repartir.
Le moteur de la péniche en décidera autrement.
Impossible de le faire redémarrer. Le pilote avec 3
ou 4 passagers s'acharnent dessus. Des notes de musique traditionnelle
s'échappent de dessous le pont métallique. Un
groupe de musique, principalement composé de jeunes
femmes et de jeunes garçons jouent, cachés par
un bosquet. J'ai irrésistiblement envie de m'approcher
mais le moteur devrait redémarrer d'un instant à
l'autre. Cruel dilemme ! Tous les passagers attendent le départ
impatiemment. Dois-je me laisser guider par mes instincts
au risque d'être grossier et mal poli ? Je tergiverse.
Je n'ai pas envie de mettre à dos l'équipage.
À l'arrière, Arnaud assiste amusé au
spectacle. "Demande leur qu'au démarrage on
fasse un crochet pour passer le plus près du pont !".
Malgré mes geste énergiques, Arnaud ne comprend
pas ou feint de ne pas comprendre. Plus j'attends, plus l'angle
de la photo devient impossible. Et le groupe de musique est
caché par le bosquet, la faute au courant qui nous
ramène sur les berges. Tiens les canards qui barbotent
juste à côté. Je me venge sur les palmipèdes.
"Merde, plus de pellicule !" Et le moteur
qui toussote. In extremis, je change de pellicule pendant
notre démarrage. Visiblement personne ne comprend rien
à mes gestes. Les notes de musique s'éloignent.
Le pont métallique également. J'enrage. Pas
de photos, ni d'enregistrement. Personne ne connaîtra
la chanson !
Stéphane Dugast
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Les spectres
de la flibustes - Sainte-Marie
Ce n'est pas seulement le souvenir des manguiers de la place
principale du petit port, ni ce petit bout de jungle déjà
perdu dans l'océan, ni ces pêcheurs éparses
rencontrés aux abords d'une plage paradisiaque, qui
donnent une atmosphère si étrange à l'île
de Sainte-Marie. À portée de vue à l'est
de Madagascar, cette langue de terre de 60 kilomètres
sur à peine 15 porte encore en elle les stigmates d'une
étrange occupation étrangère : celles
des pirates qui, aux XVIIe et XVIIIe
siècle notamment, trouvèrent dans ces "ravinala"
en bord de mer un havre de paix, propice à la retraite
méritée pour certains, ou aux rêves de
grandeur des autres. Au début du XVIIIe,
on dénombrait plus de 1 000 pirates à Sainte-Marie
et dans les localités de la côte. Anglais, Français,
Américains, des pirates du monde entier posent leurs
pénates sur Sainte-Marie. Une aura qui tient aussi,
sans doute, au poids de ces flibustiers dans le destin de
l'île. Comme ce caporal La Bigorne qui, en épousant
la princesse Bety, héritière de l'île
et déjà petite-fille d'un pirate anglais et
de la fille d'un chef malgache, céda Sainte-Marie à
la France en 1750, lui conférant un statut spécial
qu'elle a gardé jusqu'au XXe
siècle. L'île aux Forbans et le cimetière
des pirates sont les traces encore palpables de ce passage.
À la tombée du jour les stèles rendent
vie, le temps d'une épitaphe, à ceux qui ont
foulé ce sol.
Julie Desné
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Gousses
secrètes - sur les traces de la vanille en
"Sava"
Partir sur les traces de producteurs
de vanille paraît parfois relever de la quête
mystique plus que de l'enquête journalistique. Les tenants
et aboutissants de l'or vert de Madagascar attisent tant les
sensibilités du moindre habitant de la région,
que les informations se collectent au compte-gousses !
D'autant que, cette année les prix ont flambé,
jusqu'à 380 € le kilo. Les miradors s'érigent
autour des plantations. Les ateliers de tri sont sous étroite
surveillance. C'est une véritable fièvre qui touche
la Sava - région de l'Est, principale productrice de
vanille à Madagascar. Une fièvre qui pousse la
plupart des paysans hors de leur rizière pour se jeter
dans les plantations de vanille. Le riz n'a plus le vent en
poupe et vient presque à manquer dans les cultures de
la région. Pourtant Madagascar perd chaque année
un peu plus de terrain sur le marché mondial, au profit
de nouveaux concurrents tels que l'Indonésie, l'Ouganda
et même l'Inde. Les reflets dorée de la gousse
continue d'illuminer les pupilles des quelques 13 000 planteurs,
dans une région pourtant régulièrement
malmenée par une météo sans pitié.
Car le nord de Madagascar, c'est aussi la région des
cyclones. "Gafilo", le dernier en date, n'a pas dérogé
à la règle en dévastant tout sur son passage.
La quasi-totalité des champs de vanille ont été
dévasté. Ce sont 24 000 hectares qui sont aujourd'hui
touchés. Une nouvelle année noire s'annonce pour
l'or vert.
Julie Desné
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L'envoûtant parfum
de Nosy Be - Hell-Ville
On nous a promis des merveilles;
Nosy Be, littéralement la "grande île",
pourtant si petite. Si la charmeuse a réussi à
tirer son épingle du jeu touristique, en attirant à
elle seule près de 20 % des touristes de Madagascar,
ce petit coin de paradis a sa personnalité olfactive.
Des senteurs uniques au monde, comme celle de l'ylang-ylang
qui flotte à chaque abord d'une des plantations, où
l'arbre est cultivé. L'ylanguier a quitté ses
terres natales des Philippines sous l'impulsion des parfumeurs
français. Il est aujourd'hui l'apanage des Comores
et de Nosy Be, qui l'exportent pour la confection de parfums
des plus grandes maisons hexagonales. Ils ont pourtant un
allure étrange ces arbres torturés. Comme empêchés
de grandir, comme cassés en plein épanouissement.
En fait, la taille régulière de l'arbre contraignent
ses branches à piquer vers le sol. Ce sont ses fleurs
jaunes qui ont valu à Nosy Be le surnom d'"île
aux parfums".
J.D
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Ah la belle
promenade ! - Majunga
Un baobab et trois boutres. Les
armoiries de la ville de Majunga. Et un condensé du second
port de Madagascar. Dans le centre-ville, un baobab servant
de rond-point près de la corniche retient l'attention.
Selon la tradition, tout nouveau venu dans la ville doit effectuer
sept tours de ce géant de 800 ans afin que tous ses vux
se réalisent. Autre légende moins glorieuse, celle
qui veut que son tronc (d'une circonférence exceptionnelle
de 21,70 m) ait servi de poteau d'exécution pour les
condamnés à mort après le débarquement
en 1895 d'un corps expéditionnaire. Mieux vaut alors
filer vers le port aux boutres et longer le front de mer. Cette
longue allée bordée de palmiers prend vie peu
à peu au fil de la journée. Personne ou presque
le matin et la journée. Enfin le soir. La promenade s'anime.
Des badauds s'attroupent. Les amoureux des bancs publics contemplent
le coucher du soleil découpé par un cargo, ancré
dans la baie attendant la barge venue le décharger. En
effet avec un fort tirant d'eau on ne peut pas approcher le
port à cause de ses fonds boueux. D'ailleurs, l'océan
n'est pas bleu à Majunga mais marron. Les eaux limoneuses,
chargées de latérite. Quand le soleil se couche,
la promenade est assidûment fréquentée.
Et assaillie. Foule bigarrée. Odeurs de grillades. Les
Majungais s'affairent autour des épiceries et des vendeuses
de brochette de zébu. Le centre-ville est, lui désert.
Les tireurs de pousse-pousse sommeillent à moins que
des touristes ("vazahas" comme on les hèle
ici) ne se décident à rentrer au petit matin tous
repus
Stéphane Dugast
Le chant des Vezo
- Morondave
Ce matin, le ciel est azur.
La lumière blanchâtre. Une légère
brise soulève la poussière des rues sableuses.
Seules quelques femmes ouvrant leurs échoppes troublent
la quiétude matinale de Morondave. En bout de route,
des blocs de pierres et des galets surs lesquels des bicoques
de bois semblent jouer les équilibristes. La mer, elle,
a déjà revêtu sa robe ocre. Au large,
les voiles carrées des pirogues à balancier.
Sur la plage, près des cabanes des pêcheurs,
quelques enfants jouent avec des brindilles. Un porcelet s'est
joint à eux. C'est là que je retrouve Alex pour
une sortie à bord de sa pirogue. Mon guide est de l'ethnie
Vezo, ce peuple qui voue sa vie à la mer.
"Vezo nenga-daka, tsy misy raha vitany"*
Les vagues franchies, Alex accompagné de son ami
Christian rament vers la mangrove. En chemin nous saluons
quelques familles à bord des boutres qui mettent le
cap sur Belo-sur-Mer qu'elles atteindront dans deux à
trois jours si tout va bien. Des palétuviers et quelques
aigrettes, la faune et la flore de cette forêt marécageuse
procure son lot d'enchantement. La pirogue s'échoue
maintenant sur le rivage. Alex scrute les buissons. Pas de
chance, les crocodiles espérés sont discrets
aujourd'hui. "Mafana be !" ("Il fait
chaud !") Au retour, les noix de cocos du village
de pêcheurs de Nosy Kelly sont les bienvenues pour nous
rafraîchir. Ce soir je rejoindrais Alex et Christian,
mes deux compagnons de voyage, pour boire quelques rhums et
parler au son des djembés et guitares. En plus d'être
des pêcheurs, les Vezo sont d'excellents musiciens et
chanteurs.
* : "Un Vezo sans pirogue ne peut rien faire "
(proverbe Vezo)
Coucher de soleil sur le canal du Mozambique. Au large,
les lumières d'un cargo teintent de mystère
les eaux de Morondave. "Salama !" ("Bonjour
!") Soudain, le salut d'un jeune homme rompt le silence
animé par le ronflement des vagues. Un mot, un regard
et un geste échangés me sortent de la contemplation.
Cetet rencontre heureuse, m'amène à mieux connaître
les pêcheurs vezo et à comprendre leur existence
intimement liée à la mer. Certains d'entre eux
sont mêmes restés nomades. L'océan, mère
nourricière pour les Vezo. Comme l'est le zébu
pour tout Malgache des hauts plateaux...
Arnaud Créachcadec |
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