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Le patient français Conditions d'hygiène souvent précaires, infrastructures médicale désuetes, accès au soin rendu difficile et dépendant de l'état des routes et des transports, une blessure bénigneà Madagasacar peut vite s'aggraver...
Souffle coupé. Cuisses qui brûlent. Cagnard qui vous chauffe le crâne comme une cocotte-minute. Depuis une vingtaine de minutes, je suis obligé de pédaler debout en évitant soigneusement les nombreux nids de poule. La tige de selle de mon vélo tout-terrain de location est complètement pliée. À chaque coup de pédale, le vélo tout rouillé grince. J'ai l'impression que mon boîtier photo pèse une tonne dans mon sac. Le bas de mon dos me fait souffrir. Impossible de réparer ma tige de selle. Je profite alors du spectacle. La mer sur tribord. La végétation luxuriante sur bâbord. Arnaud m'a semé dès la première côte. Pourtant pas un col hors catégorie ! Et dire qu'en plus il pédale sur une jambe. Depuis notre escapade sur le canal des Pangalanes, le dessus de son coup de pied gauche a atrocement gonflé. Son échauffement de pied pourtant anodin m'inquiète. J'ai tenté une "opération" hier. Sans succès ! Armé d'une épingle à nourrice chauffée à blanc, j'ai tenté de percer l'abcès. "T'as plutôt creusé une vraie tranchée ! " m'a précisé mon "patient". À voir son pied gonflé, il fallait vite agir et rejoindre Ambodiforaha (la "capitale" de Sainte-Marie) à 12 kilomètres de là. Sans taxi ni voiture, nous avons opté pour la petite reine. Enfin un village, ou plutôt un hameau, sur ma
route. Je n'hésite pas une seconde et baraguine quelques mots
à une malgache étendant son linge. À voir ma selle
pendouillant au dessus de mon pneu arrière, elle comprend vite
mon problème et me présente à son mari qui me fait
signe de le suivre au fond de son jardin. Je m'exécute rapidement
en poussant ma bicyclette vers son atelier. En 10 minutes mon " forgero"
va redresser ma tige de selle en acier avec un un marteau. Je peux repartir.
Et foncer sur la route rejoindre mon campionissimo qui m'attend
assis sur un trottoir à l'entrée de la capitale de Sainte-Marie.
Persuadé que je m'arrêtais toutes les 5 minutes pour prendre
des clichés, le " pédaleur fou à une jambe "
a dévalé les 12 kilomètres. À voir sa mine
et son pied encore plus gonflé, la douleur ne s'est pas calmée.
D'abord boire un verre et ensuite trouver le médecin de l'île. Hormis le bruit d'un téléviseur en sourdine,
pas un son ! Le docteur Rémy est sourd d'oreille ou s'est-il
envolé ? À force de tambouriner ou de frapper aux portes
ou aux fenêtres, une dame âgée en robe à fleur,
les cheveux colorés tirés en arrière, apparaît.
"Il n'y a pas de docteur ici !" nous assène peu
aimablement la dame dérangée. Tout juste consent-elle à
nous dire qu'il existe un docteur dans les environs. " Peut-être
en face ? ". Au point où nos investigations nous ont menés,
nous tentons le coup. Changement de décor de l'autre côté
de la rue. Ni pick-up rutilant, ni façade fraîchement
repeinte. La peinture s'est plutôt écaillée. Dans
l'arrière cour des coqs et des poulets. Au fond une habitation
traditionnelle. Sur le pas de la porte, un type à la frimousse
sympathique semble nous attendre. C'est bien lui, le docteur Rémy.
Une vraie boucherie ! Voilà déjà une demi-heure que Docteur Rémy charcute son patient pour retirer le pue de la plaie. Un mini scalpel dans la main droite. Un pincement dans sa main gauche pour éponger la bétadine qu'il verse directement sur le "cratère" qu'il a creusé. A voir sa tête, Arnaud souffre le martyr. Le tabouret est rouge et blanc. La plaie comme fumante. Docteur Rémy lui est hilare. Pour me donner une contenance et surtout faire diversion, je prends des clichés en tentant de faire rire le médecin et son patient français. Au bord de l'évanouissement, Arnaud concède à me demander un verre d'eau et du sucre. Je m'exécute. Impossible de diluer le sucre dans l'eau. Tant pis ! Arnaud boira d'un trait deux verres d'eau légèrement sucrée. J'en boirai deux également comme si moi aussi on me charcutait ! Rassurant au début, le docteur malgache l'est moins maintenant. Il a sorti ses livres et se tourne de plus en plus vers les étagères à médicament désespérément vides. Pas rassurant. "J'ai donné les derniers antibiotiques au patient précédent". Merd… Arnaud s'accroche désormais avec ses mains à son siège à chaque charcutage. "J'ai de un médicament à base de pénicilline… Vous êtes allergique ? ". Réponse imparable du patient français : "Oui !". Si les étagères à médicaments sont vides, c'est que le médecin fait avec les moyens du bord. "Je donne beaucoup, ici les médicaments coûtent cher" nous explique notre médecin. Un vrai cauchemar ! Heureusement, Arnaud est un dur à cuire et ne se plaint pas. Docteur Rémy va faire les fonds de tiroir et trouver malgré tout des antibiotiques. Un peu de répit. Et de soulagement pour Arnaud. Au fond de moi, j'enrage, j'aurais dû m'occuper plus sérieusement de la trousse à pharmacie. Jouer les aventuriers inconscients peu s'avérer dangereux. Et mortel. Docteur Rémy a fait ce qu'il a pu. Je lui glisse trois billets dans la main. L'équivalent de 13 euros. Son regard s'éclaire. Je me promets de lui envoyer des médicaments à mon retour en France. De toutes les manières, il va nous falloir vite déguerpir de l'île aux pirates et filer vers l'hôpital d'une grande ville pour soigner notre blessé. 2 jours plus tard à Diego-Suarez, le diagnostic tombera : staphylocoque. Après 8 jours à claudiquer, Arnaud pourra de nouveau gambader. De quoi retenir la leçon et se remémorer le proverbe : "Mieux vaut prévenir que guérir". À ses latitudes… Stéphane Dugast |
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