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Échappée belle
(volet 2) Cols Bleus n°2707
du 26 juin2004,
Rubrique Lattitudes p22-27
Après leurs
errances à l'ombre des arcades d'Antseranana (l'autre
nom de Diégo-Suarez), découvrir le port septentrionnal
de Madagascar, c'est aussi appréhender son site magnifique
et chargé d'histoire à chaque recoin de sa baie.
Comprendre comment pirates, commerçants, militaires
ont un jour succombé aux collines aride de cette brûlée
régionale. Pour ce deuxième volet, notre équipe
quitte les quais du port mythqiue pour découvrir l'âme
de sa baie.
Diégo,
l'indomptable
Par l'équipe d'Itin'errances malgaches
:
Textes de Julie Desné et Cédric Gourmelen
Illustrations d'ar.créa'h - Photos de Stéphane
Dugast
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Les trésors de la baie
Si la ville charme par son atmosphère nonchalante et
ses arcades ombragées, la beauté de son site
laisse sans voix. Un environnement géographique exceptionnel,
qui fait dire à certains que Diégo compte la
deuxième plus belle baie du monde après celle
de Rio. Comparaison prétentieuse ? Pas tant que ça.
Il faut reconnaître
au port une vue imprenable sur une baie au vert-bleu sans
doute unique, dont le pain de sucre ne fait que rajuster
l'échelle d'un paysage qui parfois flirte avec les
frontières du réel. Et puis tout autour de
cette baie, c'est aussi l'histoire de la ville qui s'est
imprimée dans la terre. À commencer par les
installations des Français en 1884 à Cap-Diego,
au nord-ouest de l'actuelle ville. Seules quelques zones
interdites de photographies laissent encore penser que ce
petit port a eu une importance stratégique.
Mais l'histoire récente de Diégo est avant tout
une histoire militaire. Et, à sillonner en voiture
tous ces alentours, c'est à peine si on s'étonne
de pouvoir laisser le moteur s'emballer sur le tarmac d'une
piste d'atterrissage inutilisée, avec pour tout paysage
alentour le désert... et un hangar. De constants voyages
dans le temps font un des charmes de la baie de Diego et de
la ville. Mais cette fois, ce ne sont pas les heures de la
présence française que nous vivons à
nouveau, mais celles du régime socialiste instauré
par Didier Ratsiraka dès 1975 jusqu'en 1991. Car dans
ce hangar qui borde la piste, nous découvrons d'anciens
véhicules... soviétiques. Des camions n'ont
plus que leurs jantes pour reposer leur carrosserie. De vieux
modes d'emploi en cyrillique se décomposent au rythme
des jours, balayés par le vent qui s'engouffre parfois.
Tout cela sans perdre jamais de vue la baie et ses vaguelettes
écumantes, qui gardent le secret d'une quarantaine
d'épaves de navires, venus un jour se frotter au charme
de la belle.
Julie Desné
La double vie de Robert
Thomas
Est-ce
une histoire familiale déjà pétrie
de fierté frondeuse qui a mené Robert Thomas
à Diégo ? Ce fils d'un soldat mort à
Monte Cassino et d'une Lorraine qui avait refusé
la présence des Allemands dans sa région,
né à Constantine, en Algérie, intégre
les commandos marine en 1964 et foule pour la première
fois le sol malgache. "Je me demandais ce que
je faisais là. Moi, je voulais aller à Tahiti."
Et il ira. Mais après trois ans en campagne en
Polynésie française, il revient à
Diégo en 1969. Il commence déjà à
y être chez lui. Madagascar qu'il voit comme "un
trait d'union entre l'Afrique et l'Asie. Un compromis",
l'a conquis depuis bien longtemps. On le comprend.
Amoureux de Diégo
Plus d'un marin aurait chaviré. Il raconte bien
Robert Thomas comment tous se laissaient enivrer par ce
paradis terrestre où ils étaient toujours
fêtés. Par les filles par exemple. "Les
filles de Diégo, avec l'esprit de Diégo".
Différentes elles aussi, comme tant de choses dans
cette partie septentrionale de la Grande île. Mais
malgré ses souvenirs plein la tête, Robert
Thomas est tout sauf un nostalgique. Diégo, il
y est revenu sans la Marine, parce que son attachement
à la région a été plus fort.
Lui qui aime à se qualifier comme "un amoureux
du Nord" de l'île Rouge a définitivement
regagné ses pénates à Antsiranana
en 1984. "A l'époque, il n'y avait qu'un
homme qui cherchait du travail à Diégo,
c'était moi". Il retrouve une ville où
"tout était figé. Il y avait 14
années d'amnésie". Pourtant il
ne part pas, comme beaucoup, à la recherche du
Diégo d'antan, comme ceux qui "voudraient
retrouver les mêmes gens à la même
place, mais ils ont vieilli et les autres aussi. Alors
ils ont une vision négative de Diégo."
Aujourd'hui Robert Thomas est bientôt jeune retraité
malgache. D'ici quelques mois, il quittera la Compagnie
malgache de manutention qu'il dirige depuis près
de dix ans. Il va pouvoir prendre tout son temps pour
s'occuper de la famille qu'il y a fondé et admirer
le pain de sucre de la baie... depuis sa terrasse.
J. D.
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Ce qui fait le sel de Diégo
La luminosité saturée
aveugle, les montagnes de poudre blanche s'élèvent
chaque jour un peu plus, il règne une ambiance un peu
lunaire sur le site des Salines de Diégo.
Après le déclin de son arsenal, le port
septentrional a bien dû se tourner vers d'autres sources
de revenus. Le soleil et le vent en ont fait juste un site
idéal pour implanter ces salines. Et ce, depuis plus
d'un siècle puisque les salines de Diégo, fondées
en 1895, constituent la plus ancienne entreprise de Madagascar.
.L'activité sur le site, même le week-end, témoigne
d'une certaine prospérité de l'entreprise. Les
machines s'attèlent à la tâche, des grands
champs de sel aux montagnes de tri, les Salines de Diégo
produisent jusqu'à 56 000 tonnes de sel par an. Un
sel essentiellement destiné à finir dans les
assiettes malgaches. Le marché intérieur représente
près des deux-tiers des ventes de la Compagnie salinière
de Madagascar. Une activité parfois relayée
par de grandes organisations internationales comme l'Unicef.
"Le sel est un support pour apporter oligo-éléments
dans l'alimentation", comme l'explique Jean Yves
Morvan, administrateur directeur général de
la Compagnie. Un projet a ainsi été lancé
en 1995. Mais le sel de Diégo c'est aussi une petite
ouverture sur l'ailleurs, avec ce tiers de la production qui
part dans les exportations, à destination de Mayotte,
de la Tanzanie ou de Zanzibar. Du sel à usage industriel.
À eux seuls, les thoniers basques et bretons basés
à Mahé aux Seychelles en consomment entre 10
000 et 20 000 tonnes.
J. D.
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Le sel en chiffres
56 000 tonnes de sel produits par an.
De 10 000 à 20 000 tonnes exclusivement
produites pour les thoniers.
100 à 200 grammes / litre, c'est la
teneur en sel de la saumure, mélange utilisé
notamment pour la conserverie du thon.
1895, date de création des Saliens de Diégo. |
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Quand Diégo carénait...
Les activités de construction
et de réparation navales figurent le legs encore vivace
de la présence française dans la baie de Diégo,
avec la Secren.
La construction du bassin de radoub de 199 mètres dès
1905 répond aux besoins logistiques de la flotte française
et montre l'importance stratégique du port. En juillet
1945, la Direction des Constructions et Armes Navales (DCAN)
est créée et reste dans le giron français
jusqu'en 1975. Trente années durant lesquelles la base
vit ses "Trente Glorieuses" de plus grande DCAN d'outre-mer
avec 40 000 m² d'installations. Elle apporte son soutien
aux bâtiments stationnant à Diégo, mais
aussi à Djibouti, et ceux de passage dans l'océan
Indien. Conséquence de la politique de nationalisation
décidée par le président Ratsiraka en 1976,
la DCAN devient, en 1978 la Secren, "entreprise socialiste".
Société anonyme depuis 1994, le chantier a vu
son activité se réduire comme une peau de chagrin.
L'entreprise, qui a hérité des nombreux ateliers
du temps de la DCAN, paraît aujourd'hui surdimensionnée.
Si le savoir-faire du personnel subsiste, les capacités
techniques - les machines-outils n'ont pas été
renouvelées depuis les années 1950 - ne répondent
plus aux besoins actuels. La Secren continue d'effectuer des
travaux pour les quelques bateaux militaires malgaches, comme
le Trozona, ancien BSR Chamois cédé
par la Marine française à la Marine malgache en
1997. Mais la clientèle de la Secren se compose essentiellement
d'armateurs européens, notamment la flotte des thoniers
basques. Cette reconversion vers la réparation de navires
civils reste difficile devant l'émergence de la concurrence
des chantiers infiniment plus modernes du voisin mauricien.
Malgré les 1 200 emplois (mécanicien, soudeur,
chaudronnier...) générés par le bassin
de radoub, la Secren a perdu sa place de premier employeur du
port de Diégo, au profit de la PFOI, (Pêche Froid
Océan Indien) forte de 1 400 personnes.
Cédric Gourmelen |
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D'Irun à Antseranana
Les Basques et les Bretons ont plus
qu'une forte tête en commun. Résolument tournés
vers l'océan, ils s'y croisent souvent. En mer comme
au port...
Si pendant longtemps bateaux
de pêche basques et bretons se sont croisés en
océan Atlantique, ils se saluent dorénavant
surtout dans l'océan Indien, la plupart de leurs thoniers
étant basés à Mahé aux Seychelles.
Toujours à l'affût de bonnes prises ces marins
croisent souvent au large de Madagascar où ils viennent
parfois, le temps d'une escale et d'un déchargement.
Et quand un thonier est à quai à Antseranana,
pas besoin d'aller chercher plus loin que Perros-Guirec ou
Irun pour trouver la provenance de l'équipage. Le thonier
basque est une véritable petite usine flottante. Écrans
plats, radars en double, balises GPS, Esteban, capitaine du
Playa de Aritzatxu, reconnaît avoir de la chance
d'être embarqué sur un navire d'une telle précision.
Son thonier de 87 mètres de long n'a qu'un an et demi
mais recueille 20 000 tonnes de poissons chaque année.
J. D.
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Le Playa
de Aritzatxu en chiffres
20 000 tonnes pêchées par an.
87 mètres, la longueur du thonier.
20 marins dans l'équipage, dont 7
d'Afrique de l'Ouest et 2 Malgaches.
1 700 mètres sur 250 mètres,
les dimensions du filet de pêche. |
Marins des tropiques
Deux ordinateurs flambant neufs sur
un vieux bureau de bois. Aux murs, des cartes postales de
tous les pays. Autour, des bureaux vides où rien ne
semble avoir bougé depuis des années.
Les anciennes inscriptions françaises
subissent lentement les outrages du temps. L'ancien local
des pièces détachées voisin est vide.
Les quais dehors sou sun soleil de plomb, déserts.
Pas de quoi néanmoins entraver l'enthousiasme de deux
marins français... Être marin français
sur une base navale malgache, une affectation forcément
pas comme les autres. Et une réalité pour deux
officiers mariniers, le PM Didier Pingret et le Major Philippe
Hisand, coopérants à Antseranana. Chargés
officiellement du soutien logistique, ils cherchent plus généralement
à "donner aux marins malgaches une culture
Marine nationale", au prix d'un travail de communication
avec les autorités locales. "Ça nous
change de notre spé' habituelle", lâche
Philippe tout sourire avant d'enfoncer le clou : "Moi
le sous-marinier, je prends enfin l'air !" Pour les
deux jeunes père de famille, c'est un premier poste
à l'étranger. Didier vait cependant déjà
goûté au soleil, après deux ans passés
en Nouvelle-Calédonie et en Martinique. Pourtant, il
n'a pas été si facile d'arriver sur les quais
de Diégo. Sur ce type de poste, "ce sont des
appels à candidatures et une sélection sur dossier
parmi beaucoup de volontaires". Et une famille, toujours
prête à suivre ? "Aucun souci !"
répondent-ils en choeur. Sandrine et Sylvie, leurs
épouses respectives, et la petite famille sont habituées
aux mutations. Si "pour Diégo, un petit temps
d'adaptation est nécessaire, elels se sont très
bien intégrées", estiment les deux
officiers mariniers. Pourtant, l'un regagnera l'Hexagone avant
l'autre. Direction Toulon dès cet été
pour Didier. Auparavant, le féru de phototgraphie fera
sans nul doute le plein de ces "lumières féeriques"
de Diégo et sa baie. De quoi garder longtemps en mémoire
ces lumières qui baignent le port à la fin de
chaque journée de travail.
J.D. |
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